FIGAROVOX/TRIBUNE – Au 1er décembre, le nombre de détenus en France a atteint un niveau historique, avec 72.836 personnes incarcérées. Le directeur de l’Institut pour la Justice, Pierre-Marie Sève, l’explique par une inadaptation du parc carcéral à la criminalité française.
LE FIGARO. – Avec plus de 72.000 prisonniers au 1er décembre, les prisons françaises ont battu un nouveau record historique. En janvier 2021, les lieux d’incarcération français ne comptaient que 60.698 opérationnelles. A-t-on sous-estimé le nombre de places de prison à construire ?
Pierre-Marie SÈVE. – Il est presque impossible d’estimer correctement le nombre de places de prison «à construire». Car l’incarcération de davantage de prisonniers a elle-même un effet de dissuasion et donc de diminution de la délinquance.
Ce qui est d’abord certain, c’est la récente augmentation des besoins en France. Le nombre de délinquants dans la population a incontestablement augmenté depuis les années 1980. L’évolution par exemple des coups et blessures en France, dont le nombre a été multiplié par 7 depuis 1989, en est un indicateur clair.
Mais face à cette nécessaire augmentation des besoins, la construction de places de prison n’a obéi qu’à une logique politique et non pragmatique. Historiquement, les majorités de droite ont toujours été favorables à la construction de prisons tandis que la gauche s’y opposait. Le dernier exemple en date est l’arrivée de Christiane Taubira au ministère de la Justice en 2012. Elle avait immédiatement gelé la construction de prisons décidée sous l’ère Sarkozy.
“Nous avons une délinquance forte et des capacités de punition trop faibles.”
Pierre-Marie Sève
Un autre exemple symbolique date du milieu des années 1980. Lors de la cohabitation sous François Mitterrand, le gouvernement Chirac prévoyait un très vaste programme de construction de prisons, 40.000 places. Mais l’offensive médiatique et politique de la gauche judiciaire a alors été très puissante menée par le Syndicat de la Magistrature. Le garde des sceaux, Albin Chalandon, a alors dû annoncer la réduction de ce nombre à 13.000 places, bien en dessous des besoins.
Le résultat aujourd’hui est que nous avons une délinquance forte et des capacités de punition trop faibles.
Cette surpopulation carcérale ne contredit-elle pas l’idée selon laquelle notre justice est laxiste ?
Elle le semble au premier abord et c’est la conclusion qu’ont les adversaires idéologiques de la prison. Pourtant, il est très important de remettre ces chiffres en perspectives. La conclusion est alors complètement inverse.
En effet, selon les chiffres du Conseil de l’Europe, au 31 janvier 2021, la France incarcérait 92 personnes par habitant, c’est-à-dire un chiffre moins en dessous de la moyenne et de la médiane européennes. Et ces chiffres sont constants depuis des années. Il faut le redire : on incarcère peu en France.
Mais malgré cette incapacité chronique à punir, la délinquance et la criminalité française sont plus fortes en France que chez nos voisins. Le taux d’homicide par habitant est par exemple largement supérieur en France à la plupart de nos voisins directs : Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne… Selon Eurostat, la France est deuxième d’Europe en termes de nombre d’agressions par habitant. Enfin, le classement Numbéo démontre aussi que les touristes et les habitants se sentent davantage en insécurité en France qu’ailleurs en Europe.
“Aux Pays-Bas, on incarcère très rapidement, ce qui a un effet beaucoup plus dissuasif.”
Pierre-Marie Sève
La République tchèque incarcère deux fois plus alors qu’elle a deux fois moins d’homicides par habitant que la France. Il y a donc quelque chose qui ne fonctionne pas dans notre modèle.
Bref, la surpopulation carcérale est donc bien davantage une inadaptation du parc carcéral à la criminalité française et non la marque d’une politique de fermeté. Ce record d’incarcération est d’ailleurs battu presque tous les ans, y compris sous Christiane Taubira.
Alors que la France est confrontée à une surpopulation carcérale problématique, les Pays-Bas ferment des prisons. Comment expliquer ce décalage ?
On peut l’expliquer par plusieurs raisons :
Premièrement, les Pays-Bas avaient un niveau de délinquance assez élevé au début des années 2000, similaire à celui que connaît la France aujourd’hui. Leur parc carcéral était pourtant à la hauteur des enjeux. Il est donc plus facile de fermer des prisons, quand il y en a pléthore.
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