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Imam Iquioussen : pression ou pas pression du gouvernement sur le Conseil d’Etat, la question qui masque une faillite démocratique encore beaucoup plus grave. Pierre-Marie Sève interviewé par Atlantico

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Publié 1 septembre 2022

Clémence Guetté, députée Nupes, a évoqué une « pression de l’exécutif sur le judiciaire » dans la décision du Conseil d’État validant l’expulsion de l’imam Iquioussen. Alors que le gouvernement a publiquement exprimé son souhait de voir la décision d’expulsion confirmée, peut-on y voir une volonté de contrebalancer une certaine idéologie qui s’est installée au Conseil d’Etat ?

Atlantico : « Il y a eu une pression de l’exécutif sur le judiciaire » dans la décision du Conseil d’État validant l’expulsion de l’imam Iquioussen, a dénoncé la députée Nupes Clémence Guetté. De fait, le gouvernement a effectivement publiquement exprimé son souhait de voir la décision d’expulsion confirmée. Peut-on y voir une volonté de contrebalancer une certaine idéologie qui s’est installée au Conseil d’Etat ?

Pierre-Marie Sève : Oui, il était assez attendu que le Conseil d’Etat valide la décision du tribunal administratif. En effet, le tribunal administratif avait suspendu la décision dans la ligne de droite de la jurisprudence du conseil d’Etat, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation qui ont fait du droit à la vie familiale normale un droit très étendu. La première décision de 1978, l’arrêt Gisti, qui a annulé les restrictions au regroupement familial en a aussi fait un principe général du droit. Depuis lors, une jurisprudence constante retient le droit à la vie familiale normale de manière très étendue. Tout cela relève évidemment de l’interprétation du juge, mais dans des conditions normales, puisque les enfants et petits-enfants d’Iquioussen sont tous français, on aurait pu s’attendre à ce que le Conseil d’Etat valide une interdiction d’expulsion au nom de ce principe.

Donc cette décision est étonnante. Cela renvoie à une chose, le droit est un moyen et pas une fin. C’est un moyen d’atteindre des objectifs politiques décidés en collectivité. Et la tendance qu’avait eu le Conseil d’Etat, comme toutes les cours suprêmes françaises (Conseil constitutionnel, Cour de Cassation voire la Cour européenne des droits de l’Homme) avaient tendance à se substituer au peuple pour édicter les objectifs politiques. Avec cette décision concernant le Conseil d’Etat revient à la volonté de l’exécutif donc du peuple. Le droit est politique et les juges font de la politique. Il vient juste de rompre sa cohérence.

Ce n’est pas un cas isolé. La cour européenne des droits de l’homme est une cour extrêmement politique. Très à gauche sur les questions d’immigration, de droits des détenus et de justice pénale en générale. Pour cela, ils condamnent régulièrement les pays, dont la France. Sauf qu’en 2012, le Royaume-Uni a menacé de quitter la CEDH. David Cameron avait organisé la conférence de Brighton en ce sens. Et la CEDH, face au danger a préféré, faisant fi de sa cohérence juridique, condamner bien moins régulièrement le Royaume-Uni. On se souviendra aussi que c’est le Conseil constitutionnel qui a créé le bloc de constitutionnalité dans lequel il a rajouté des textes : le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Si la justice n’est pas en mesure d’être neutre, au moins faudrait-il qu’elle soit politiquement équilibrée. N’y-a-t-il pas un problème de composition sociologique comme idéologique du Conseil d’Etat et, plus généralement, de la justice au sens large ?

Pierre-Marie Sève : Oui, c’est évident. Mon expérience vaut ce qu’elle vaut mais, pendant mes études de droit, j’ai pu constater que le droit pénal était trusté par la gauche et une vision de la peine. Ce n’est pas un problème qu’il y ait une vision de gauche du droit pénal, mais il faut un équilibre. Et il n’y était pas. Ce déséquilibre faisait que parler du Général De Gaulle était très mal reçu. Et mes camarades sont, en grande majorité, rentrés à l’École nationale de la magistrature et devenus magistrats. Donc il y a clairement un problème de diversité idéologique. On ne peut pas dire que rien n’a été fait car des passerelles ont été créées pour tenter d’apporter de la diversité. 40 à 50% viennent de parcours passerelles désormais. Il faudrait néanmoins faire plus d’effort.

C’est le ministre qui fixe le nombre de magistrats qu’il veut par le concours classique et par les passerelles, donc la diversité, il suffit que la ministre le veuille. Le problème est que les magistrats, comme tous les juristes, appartiennent à une certaine caste dans laquelle il est bon de dire certaines choses et pas d’autres. Mais cette vision n’est pas la même que dans le reste de la population. Cela pose un problème dans une démocratie. Une caste comme celle-ci, avec l’importance qu’elle revêt, on souhaiterait qu’elle soit neutre, ou tout aussi diversifiée dans ses opinions que population. Le syndicat de la magistrature, qui est d’extrême gauche, est le second syndicat parmi les magistrats. Il a beaucoup de poids, plus que dans la population. Pour autant, tous les magistrats ne sont pas d’extrême gauche. D’autres syndicats sont moins politisés.

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