C’était l’été dernier. Le 29 août à Cannes une octogénaire se faisait violemment agresser par deux mineurs. Pendant que l’un la frappait derrière la tête, l’autre, méthodique, dérobait son sac et la dizaine d’euros qu’il contenait. La scène avait été filmée par un troisième jeune. La vieille dame avait été retrouvée gisant au sol, le visage tuméfié.
Le procès a eu lieu le 28 juin dernier, au tribunal des enfants de Grasse. Les deux mineurs responsables des coups et du vol ont écopé d’une peine de douze mois de sursis probatoire, et ont pu rentrer libres chez eux. Une peine inférieure aux réquisitions du parquet qui demandait 24 mois d’emprisonnement assortis d’un sursis probatoire. En décembre dernier, un des délinquants s’était brièvement enfui du centre éducatif fermé dans lequel il avait été placé quelques jours plus tôt.
Le troisième mineur, quant à lui, celui qui avait filmé, a été relaxé en novembre dernier : une décision contestée par le parquet qui a fait appel. Il sera jugé à nouveau à partir de septembre à la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Alors que David Lisnard, le maire de Cannes, s’indignait de cette « non-sanction », au mépris de la victime, le père de l’un des agresseurs a annoncé porter plainte, dans la foulée, contre la mairie. Au lendemain de l’agression, l’édile avait privé le père de famille de son emplacement sur le marché, estimant que « chacun est responsable de son enfant ». La Ville avait justifié sa décision en indiquant que « le domaine public » ne pouvait être occupé par « des personnes à l’origine de troubles à l’ordre public ».
Ce 29 juin, la mairie dénonçait la plainte déposée par le commerçant à l’encontre de la ville. Le père de l’agresseur accuse la municipalité de diffamation, atteinte à la vie privée, violation du secret professionnel et discrimination. Une plainte infondée, selon David Lisnard pour qui « tout cela relève de l’indécence ».
« Il n’y a pas de limites à l’inversion des valeurs »
« Il n’y a pas de limites à l’inversion des valeurs », commente Alexandra Martin, députée (LR) des Alpes-Maritimes, qui partage la réaction de David Lisnard. En octobre dernier, tous les deux avaient proposé une liste de mesures destinées à lutter contre « l’augmentation de la part des mineurs, de plus en plus jeunes, dans la délinquance ». Une réflexion à partir de laquelle la parlementaire avait déposé une proposition de loi à l’Assemblée en décembre dernier.
Parmi ces mesures : accroître la sévérité des sanctions, et élever à 12 000 euros l’amende maximum encourue, contre les 7 500 actuels pour les mineurs de plus de 16 ans. Alexandra Martin demandait également d’abaisser l’excuse de minorité à 13 ans, contrairement à 16 ans aujourd’hui, et de réduire la peine de 20% seulement, contrairement aux 50% actuels, voire une levée totale dans certains cas graves. Elle réclame une responsabilité pénale des actes de leurs enfants. Ils pourraient risquer 30 000 euros d’amende et jusqu’à deux ans d’emprisonnement.
La décision rendue par la justice le 28 juin dernier est « sous-proportionnée » selon Alexandra Martin qui déplore « des voyous de plus en plus jeunes. » A ses yeux, il faut « des outils entre les mains du juge », qui pourraient se traduire par un abaissement de l’excuse de minorité et la responsabilisation pénale des parents. Le renforcement de l’arsenal judiciaire pénal, qui doit « s’adapter à ce constat de rajeunissement des délinquants », fournirait également la possibilité de réelles sanctions à ces « jeunes en perte de repères. »
L’absence de sanctions : une « autorisation à recommencer«
Un sursis et une absence de sanctions immédiates également perçus comme « une autorisation à recommencer » par le fondateur de l’Institut pour la Justice, Pierre-Marie Sève. Bien que « grave et inquiétante », la décision du tribunal ne surprend pas le jeune dirigeant de l’association qui sensibilise sur le laxisme judiciaire. « Toute l’histoire de la justice des mineurs est guidée par l’esprit selon lequel la sanction est incompatible avec l’éducation ». Une absurdité, pour celui qui est aussi père de famille, et affirme le contraire : « c’est en sanctionnant que l’on apprend les limites de l’interdit. »
Pragmatique, Pierre-Marie Sève dénonce également le manque de places dans les centres éducatifs et les quartiers spéciaux, au sein des prisons, destinés à l’incarcération des mineurs. « Emmanuel Macron avait promis 70 places supplémentaires, on les attend toujours », raille-t-il. En cause selon lui, le « mépris du gouvernement pour la prison », dont l’absence de 15 000 places supplémentaires, promises depuis 6 ans, mais toujours pas réalisées, serait la preuve.
Le nombre de mineurs mis en cause dans des actes de violence a été multiplié par deux depuis la fin des années quatre-vingt-dix. En 2017, ils étaient 217 000, contre 132 000 en 1996. La gravité des actes de délinquance s’est elle aussi aggravée, comme en témoigne la hausse de 144% des homicides et de 229% des viols commis par des mineurs entre 1996 et 2017. Des chiffres éloquents, qui font mentir l’idéologie à l’œuvre concernant la justice pour mineurs.
De son côté, Alexandra Martin continue de plaider en faveur d’une évolution du système pénal. Des amendements concernant l’excuse de minorité et la responsabilité pénale ont été déposés sur le projet de loi justice, actuellement débattu à l’Assemblée. Le projet doit en effet définir le budget et l’orientation de l’institution pour les années à venir. La députée prévoit également de à l’ordre du jour son texte « vers octobre ou novembre prochains » à l’occasion de la niche parlementaire des Républicains.
Pour l’heure, les mineurs délinquants semblent, bien souvent, immunisés de toute sanction. Les mineurs de Cannes sont libérés, mais pour la victime, les séquelles demeurent. C’était l’été dernier mais Angèle Houin en porte toujours les marques.