Laurent Lemasson – Docteur en droit public et science politique, responsable des publications à l’Institut pour la Justice
Le débat sur l’insécurité n’a jamais cessé en France depuis la fin des années 1970. Il oppose ceux qui affirment que l’insécurité ne cesse de progresser depuis un demi-siècle et ceux qui affirment que cette progression est largement fantasmée. Dans ce débat, la notion de « sentiment d’insécurité » est devenue un enjeu essentiel.
Pour les premiers, parler de sentiment d’insécurité revient à nier la réalité de cette dégradation, « sentiment » étant pris comme synonyme d’« imaginaire ». Ils rejettent donc énergiquement l’expression « sentiment d’insécurité ».
Les seconds admettent que l’opinion publique est préoccupée par l’insécurité mais mettent toute leur énergie à montrer que cette préoccupation n’a pas de vraies raisons d’être. Ils insistent sur le fait qu’il faut soigneusement distinguer insécurité (objective) et sentiment d’insécurité (subjectif).
Cet usage polémique du terme « sentiment » a eu pour conséquence de tronquer le débat. En effet, la dispute autour du « sentiment d’insécurité » signifie qu’il existe un point d’accord entre les deux camps : tous les deux considèrent que les statistiques de la délinquance sont le juge de paix en la matière de sécurité.
Or si les statistiques de la délinquance sont certes importantes, elles n’épuisent pas le sujet et peuvent même nous égarer si elles nous font oublier que certains des aspects les plus importants du phénomène ne se laissent pas appréhender par les statistiques. La notion de sentiment d’insécurité mérite d’être réhabilitée pour rendre pleinement justice à la question de l’insécurité.