FIGAROVOX/TRIBUNE – Des femmes en maillot couvrant ont pu se baigner dans une piscine municipale de Grenoble malgré la suspension de l’arrêté municipal confirmée par le Conseil d’État. Le pouvoir politique doit trancher par une loi pour mettre fin à ces tergiversations.
Le 16 mai dernier, histoire de faire monter la température d’un été qui s’annonçait déjà très chaud, le maire de Grenoble a pris un arrêté municipal autorisant le burkini. Puis, cet arrêté municipal a été suspendu par le tribunal administratif de Grenoble. Dans la foulée, le Conseil d’État, plus haut juge administratif, a confirmé la décision du tribunal administratif.
Mais, la semaine dernière, suite à la décision du Conseil d’État, plusieurs femmes se sont présentées aux piscines municipales habillées en burkini. Certaines, dont le burkini était collé au corps, ont eu le droit d’entrer, tandis que d’autres, dont le burkini était bouffant ont dû rebrousser chemin.
Alors, que s’est-il passé ? La ville de Grenoble a-t-elle récidivé ? A-t-elle violé la loi ? Tout se cache dans le contenu de la décision du Conseil d’État.
Dans son arrêt de fin juin, le Conseil d’État pose un raisonnement en deux temps. Le principe est le droit des communes d’autoriser des tenues spécifiques dans les piscines municipales lorsque le public le demande, mais pour autant, les groupes confessionnels ne peuvent revendiquer un droit opposable à un traitement dérogatoire.
“Le Conseil d’État laisse planer le doute. Il a manqué de courage et a refusé d’établir une position ferme.”
Pierre-Marie Sève
Concrètement, la ville de Grenoble peut autoriser un burkini comme vêtement de baignade dans ses piscines, mais les adeptes du burkini ne peuvent obliger la ville de Grenoble à l’autoriser si elle ne le souhaite pas. Bref, la ville décide.
Mais, de manière assez bancale, il faut le dire, dans sa décision, le Conseil d’État ajoute une limite: la ville n’est pas entièrement souveraine. Les tenues ne doivent porter atteinte à l’ordre public ou au respect du bon fonctionnement du service public et en l’espèce, aux règles d’hygiène. En l’occurrence, la ville de Grenoble ne pouvait édicter une exception générale pour le burkini car une telle exception déroge fortement aux règles d’hygiène. Cependant, si les burkinis larges contreviennent à ces règles et sont donc interdits, les autres restent autorisés.
Serait-ce une sorte de faille juridique ? Il est vrai que la décision du Conseil d’État manque de clarté et une lecture au premier degré laisse effectivement penser que les burkinis qui se plient aux règles d’hygiène n’ont pas été interdits.
La réalité est que le Conseil d’État laisse planer le doute. Il a manqué de courage et a refusé d’établir une position ferme. Alors que le juge a souvent été si prompt à prendre des décisions politiques dans l’histoire récente, il n’a fait ici que répondre au cas concret.
Mais en réalité, le Conseil d’État doit-il trancher un débat aussi explosif ? N’est-ce pas une question politique qui doit être réglée par le politique ? Selon la tradition juridique française, le juge ne fait pas la loi. L’expression de Montesquieu résume tout: «le juge n’est que la bouche de la loi». L’autorité qui fait la loi est l’expression populaire, qui, elle, est politique.
“Lorsque enfin, le juge et le politique auront terminé de s’échanger cette patate chaude, ce sera bien à l’autorité politique de trancher et c’est elle qui devra en répondre devant les citoyens français.”
Pierre-Marie Sève
Le résultat de ces tergiversations est qu’aujourd’hui en France, le burkini reste autorisé. Et ce, car ni les politiques, ni la Justice n’ont osé trancher ce débat. Pourtant, lorsqu’une question aussi épineuse et aussi politiquement chargée émerge dans le débat public, il est de la responsabilité de l’autorité politique d’avoir le courage de trancher les débats.
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