TRIBUNE – Au lieu de tenter de combler le fossé qui ne cesse de se creuser entre les “élites judiciaires” et les citoyens, celles-ci stigmatisent une réaction populaire qui n’est que la traduction du sentiment que “la justice ne rend pas la justice”, explique Pierre-Marie Sève, directeur de l’Institut pour la Justice.
Le journal le Monde s’est récemment inquiété d’un “populisme judiciaire” dans un article du 23 janvier 2023. Couplé au “culte de la victime”, ce syndrome populiste, qui toucherait une majorité de la population française, mettrait en danger des règles millénaires, selon l’actuel garde des Sceaux, interrogé à ce propos. À cela, pas de remise en question sur le fond, mais le souhait, par exemple, de voir plus de “pédagogie”…
Pourtant, cette critique semble manquer une fois de plus le fond du sujet : comment combler le fossé, qui se creuse chaque jour un peu plus, entre les élites judiciaires et les citoyens ? Finalement, le terme de “populisme judiciaire” n’est que le vocable utilisé par les “élites judiciaires” pour stigmatiser une réaction populaire qu’ils comprennent de moins en moins.
Supprimer le châtiment
La naissance de ce fossé remonte aux années 1950. Le juriste Marc Ancel invente alors la « défense sociale nouvelle ». Cette théorie prétend supprimer le châtiment, protéger le présumé innocent et centrer le procès sur la réinsertion du coupable. Et, dans un élan soixante-huitard, qui a vu également la naissance d’un syndicat de la magistrature, une grande partie de la nouvelle élite judiciaire sera emportée par cette théorie, si moderne.
Et rapidement, cette évolution se heurte au très décrié “bon sens populaire”. Un collectif “Légitime défense” défend ainsi le garagiste Lionel Legras, accusé d’avoir tué un cambrioleur, en 1976, en piégeant sa maison. Ce garagiste bourguignon est unanimement soutenu par son village, sa région mais pas par les élites judiciaires. Condamné en première instance, il demandera ensuite à être jugé par un jury populaire, qui l’acquittera. À cette occasion, d’ailleurs, le Monde avait dégainé une variante : l’expression de « poujadisme judiciaire »…
Mais depuis cette époque, ce fossé entre citoyens et élites n’a cessé de s’agrandir. Aujourd’hui encore, il demeure.
“81 % des Français estiment que la justice est trop laxiste.”
Selon un sondage CSA pour l’Institut pour la justice, 81 % des Français, de gauche comme de droite, estiment que la justice est trop laxiste. Ainsi, Cyril Hanouna, aux si fortes audiences, ne fait que vocaliser le sentiment de ses téléspectateurs lorsqu’il demande une prompte sévérité. Ainsi également, les pétitions ou les avalanches de dizaines de milliers de commentaires sur les réseaux sociaux décriant telle ou telle décision.
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